Malgré la fatigue accumulée au cours des dernières quintaines et en dépit de ses nombreuses blessures, Roland tenait bon. Habitué à la chaleur étouffante du brasier infernal de la forge, le jeune homme frappait inlassablement le métal aux côtés de ses frères et de son père. Les yeux rivés sur l’enclume, les mains fermement serrées autour du marteau, Roland, imperturbable, modelait le métal jour et nuit. Tel l’ancestral dieu de la guerre Bhraïr, il donnait la vie à celles qui donneraient la mort.

Chauffer, souffler, frapper. Chauffer, souffler, frapper. Frapper, encore et encore. Plus il frappait et moins il pensait. Et pourtant, plus il frappait, plus il pensait. A chaque coup de marteau, la réalité qui l’entourait semblait s'effondrer un peu plus pour laisser place au palais de ses pensées. 
Tremper, affiner, aiguiser. Là où la précision et la technicité semblaient d’une simplicité effarante, jamais il n’avait été aussi dur de rêver. Emprisonné dans une machinerie infernale, déconnecté de la réalité qui l’entourait, Roland ne pouvait se soustraire au fil de ses pensées. Torturé par son esprit il n’avait d’autres échappatoires que de faire face à ses regrets…

Souffrant du vide immense d’un père absent, que l’amour débordant d’une mère ne su combler, Roland grandit sous la protection de ses frères aînés. Troisième et dernier enfant d’une fratrie fusionnelle, Roland se démarqua rapidement de ses aînés, et ce à bien des égards. Bien qu’il admirait ses frères, véritables modèles pour lui, à qui il tentait en vain de ressembler dans le secret le plus total, Roland n’avait ni la dextérité et le charisme de Dralon, ni la force et la sérénité de Danlor. Au lieu de cela, Roland s’illustrait à merveille dans l’agilité et l’intellect.